Journée en roue libre. Je suis sortie dans la rue marcher sans but. Heures volées à l’utile, au productif. Ô combien nécessaires pour ne pas étouffer sous l’épaisseur quotidienne du raisonnable.
La porte de l’immeuble vient de se refermer, le monde extérieur s’impose brutalement. Le battement d’ailes d’un pigeon me fait sursauter, une odeur de lessive fraîche sature l’air, l’acidité de la lumière matinale est à la limite du tolérable. Secondes de flottement ténu, premiers pas.
Après-midi. Les heures ont glissé, au gré d’une dérive dont je me garde bien de mémoriser le fil. Pour l’instant, la flaque de soleil qui oscille au bas de la vitrine devant laquelle je viens de m’arrêter mobilise toute mon attention. Brusquement, un éclat irisé me percute le coin de l’œil, je relève la tête pour en localiser la source : elle provient d’une chaise en plastique transparent à l’intérieur du magasin.
Drôle d’objet. Le médaillon du dossier est aisément reconnaissable, la forme rappelle sans équivoque les contours d’une chaise Louis XVI. Mais épurée, débarrassée de toute l’ostentation baroque du modèle d’origine. La transparence du matériau en dématérialise la perception, suggère un fantôme dont il ne resterait que la trace éthérée et volatile. Dernière subsistance d’une époque révolue, désormais réduite à une simple icône. Mais qui tire pourtant sa modernité de ce statut d’image, si l’on pense à la façon dont les icônes ont aujourd’hui remplacé nos objets familiers pour envahir les écrans de nos smartphones et autres ordinateurs.
Dos au soleil, je baigne dans une douce chaleur qui m’enveloppe entièrement, délimite les contours de mon corps et lui donne une réalité dense et tout à fait palpable. Face-à-face troublant avec la chaise. Et si je me dématérialisais moi aussi, que subsisterait-il de ce que je suis ? Quelle trace, à quelle échéance ?
Il y a quelques jours, dubitative sur les sentiments que tu pouvais éprouver à mon égard, je t’ai posé cette question : « Qu’est-ce que je t’apporte de capital ? ». Troublé par mon incursion dans cette zone d’intimité que tu protèges si farouchement, tu m’as pourtant offert cette réponse inattendue : « Tu m’écoutes. »
Je t’ai alors regardé, et pensé que je ne laisserais dans ta vie qu’un fragile écho, fantôme léger et inexplicable du spectacle de mon existence dans la tienne.
❤ ❤ ❤
Des raccourcis clavier,/ des smileys parce que mes mots seraient maladroits.
❤
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Tout pareil 🙂
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Avoir quelqu’un à qui parler, c’est capital ou vital, je crois que le sens est le même. Une grande sensibilité dans ton écriture. Réjouissant de te lire.
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merci de ce commentaire, Vincent. Je suis touchée de penser que mes écrits puissent semer ça et là de la joie ^^
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Les gens qui savent écouter vraiment et non pas seulement s’écouter sont si rares ! C’est un beau compliment qui vous était fait.
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C’est vrai, Aldor, et je l’ai effectivement pris comme tel. Mais parfois, les réponses qui nous sont offertes sont assez différentes de celles qu’on attend… ce qui n’enlève pour autant rien de leur valeur 🙂
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C’est une belle et poétique remise en question sur soi, au travers d’analyses d’objets et d’un passage en extérieur.
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Bonjour Esther,
Merci pour ce très beau texte. Très bien écrit. Plus simple que d’autres 😉 C’est une qualité.
Sur « le fond », j’espère que la réciproque est vraie. Et que les échanges entre les 2 vont au delà de l’écoute.
Bravo en’ tout cas.
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Bonsoir Etienne, merci de ton commentaire 🙂 Ce texte, il est vrai, est plus simple que d’autres ; sans doute est-ce dû au fait qu’il s’agit d’un billet écrit il y a déjà quelques temps : je me rends compte que ma façon d’écrire évolue, j’essaie de gagner en précision et en densité et mes derniers posts s’en ressentent. Je vais en revanche faire attention à ne pas devenir obscure 🙂
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