« Mais qu’est-ce qu’on va devenir ? »

« Vivement l’arrivée des robots, qu’on arrête de bosser ! » ai-je blagué hier en rentrant du boulot, avant de partir prendre le train. « Tu as envie de passer ta vie à ne rien foutre ?», as-tu répondu.

Au loin, l’Océan ronfle doucement.

Allongée à côté de toi, je contemple la poussière s’agiter dans le rai de lumière qui filtre par le volet de la chambre. Temps de vacance, conquise de haute lutte sur une vie que j’essaye par tous les moyens de ne pas résumer au seul travail.

Comme tu dors paisiblement, j’en profite pour me confronter en silence à ta question  : si les robots nous libèrent du travail, à quoi cela ressemblera-t-il de vivre dans une société jusqu’ici entièrement organisée autour de cet axiome historique ? Qu’allons-nous faire de ce temps « délivré » ? Que voudra dire être humains, se sentir utiles et vivants ?

 » Se sentir vivant ?  »

J’ai posé cette question autour de moi. Se sentir vivant quand le corps réagit, être considéré et valorisé par l’autre, construire des relations et des dialogues fondés sur la sincérité, la disponibilité… toutes réponses qui renvoyaient à la subjectivité de l’expérience en question, mais sans pour autant interroger ce qui en restera la spécificité dans notre époque du bientôt « tout numérique. ».

La poussière danse, et je songe que notre expérience d’humains demeure dans tous les cas liée à une matérialité que ne partageront jamais avec nous les robots : celle du corps, ce vivant agrégat de peau, de sang, et d’humeurs.

J’effleure ton épaule et souris intérieurement en pensant que les robots puissent nous faire revenir à ce que nous oublions si souvent  : qu’être humain, c’est se résoudre parfois à n’être qu’une vibration sur la peau de l’Autre, avec pour seule finalité de le faire résonner.

Cesser de raisonner, pour ressentir que l’expérience de l’altérité – affublée de tant de fictions et attentes irrecevables comme vouloir qu’elle aboutisse toujours à s’aimer – passe d’abord par la simple synchronisation d’un corps avec un autre.

Comprendre qu’au 21è siècle, il y a plus que jamais urgence à partager sans enjeu cette vibration indispensable pour vivre concordants, et non dissonants.

La musique ne raconte pas autre chose.

20 Commentaires

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20 réponses à “« Mais qu’est-ce qu’on va devenir ? »

  1. « Y’aura toujours des mort à enterrer » dit la chanson et puis une conséquence de la rebotisation sera peut-être qu’on s’occupe de la peau de l’autre pour la lui faire, l’oisiveté étant soit disant mère de tous les vis. Et là on retrouve le plein emploi, pas de chômage en période de guerre, il faut combattre et enterrer de plus belle.

    Très beau texte.

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  2. Réveillée de bonne heure sans raison notoire si ce n’est la divine intuition de vous lire peut-être. Toujours un enchantement. Une raisonnance. Une rémanence. Une connexion [où il est inutile de préciser chiffres et lettres dérangés en incohérence aléatoire que je ne suis pas un robot].

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  3. hello sous la surface. j’aime bien ton texte, c’est d’une part sensiblement écrit et chouettement mis en forme, mais aussi ça vient soulever plein d’autres questions sur lesquelles il serait possible de passer des heures avec l’aide d’une bonne bouteille.

    je prends conscience de ce tout connecté / numérisé / intelligemment artificialisé à chaque fois que je passe en banlieue parisienne. Ici en campagne portugaise on est plus distants. Moins d’argent d’une part, mais aussi moins obligés de se plier à ces nouveaux standards, donc je ne connais pas très bien tous ces outils « malins ». Les règles du jeu social sont bien différentes, dans lequel des deux milieux se sent-on plus vivant, je n’ai pas la réponse.

    Pour le tout robotisé, je crois qu’on est dans un moment bien particulier, et qu’on va continuer à avancer dans cette direction quelques décennies seulement. Depuis que j’ai découvert Auzanneau et les autres, je comprends mieux que ce monde entier repose sur un seul et unique élément, le pétrole, et qu’on devrait passer le pic de notre vivant (ce qui est également vrai pour les autres ressources nécessaires à ces supers outils). Donc, les robots n’auront pas le dernier mot.

    Quant à la question du travail, elle reprendra une autre signification lorsque nous seront contraints de revenir à des échelles plus locales, tribales, communautaires. Je me souviens de cet article qui m’avait sidéré sur la question du temps libre en Amazonie : « les Achuar ont beaucoup plus le temps que nous. La forêt amazonienne est si prodigue que le travail journalier pour se procurer à manger est minime, quitte à s’ennuyer d’ailleurs… C’est pour cela que quand arrive un anthropologue, c’est une distraction bienvenue » Ou encore les pensées du chef de tribu des îles Samoa sur la question du travail et de la « profession » dans le Papalagui (écrit il y a de ça déjà un siècle…)

    Enfin la question de se sentir vivant dans un monde moderne et factice me fait penser à Aldous Huxley, Brave New World, un monde de divertissement constant, d’insouciance, où les passions et les émotions authentiques sont constamment étouffées, voire prohibées, et dans lequel débarque un jeune tribal nourri à Shakespeare dès sa jeune enfance. J’adôôôre ce bouquin.

    bon week-end !

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    • Bonsoir, de la part d’individu comme moi, l’informatique est géniale, tant qu’elle ne pirate pas, ne prive pas ou ne s’immisce pas dans la liberté, ni dans la vie privée, ne profite pas de la faiblesse des plus ignorant et non technicien. Mais pour ce qui est le monde du pétrole, (ce n’est pas le seul monde) il y en a plein d’autres, visibles, invisibles, en fonction de son savoir, de sa position sociale… Il faut approfondir , le capital, le paraître orgueilleux, l’égoïsme, la politique, les politiciens, les riches, pas riches, etc… la non reconnaissance de soi-même, même chez des cadres supérieurs,les policiers, les militaires,le peuple dans la rue. Qui est qui selon les apparences? Seul le langage, l’apprentissage des langues, la découverte des autres, ou la culture du « tout monde » comme dit Monsieur Edouard Glissant, peut donner certaines indications et beaucoup d’espoir d’évolutions.

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  4. No pb. Suffit de s’entraîner à faire semblant de travailler le plus tôt possible. En Corse, c’est atavique. Le premier qui bosse est sévèrement puni. Très vite, on n’y pense plus. Le Farniente ( ne rien faire) est un art, une sublimation, un sacerdoce. J’arrête ici: je commence à fatiguer…

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  5. Toutes mes excuses pour les fautes (sans le s ) à ignorants et techniciens, j’écris sur le coup de …Merci

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  6. Merci de me rejoindre. N’hésitez surtout pas à dire vraiment, honnêtement vos désaccords, vos conseils, vos suggestions… Je suis contre le langage commun, unique, politicien. Il y a quarante ans que je court après tout… Les coups de poings physiques, psychologiques, je connais, je suis toujours debout, pourtant, je ne suis pas maso, seulement partageur et curieux de tout. Partageons, partageons/ encore partageons,/ dansons tous avec nos mots,/ en musique, en chanson cadeau.
    Le partage et la tolérance en premier, après , réfléchissons en fonction de chacun. Cordialement

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  7. A très bientôt, merci.

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  8. Il y a un demi-siècle, on parlait beaucoup de l’avènement d’une société du loisir… on en rêvait, on le souhaitait… puis le néo-libéralisme est venu tout éteindre en prenant bien soin de nous ramener au régime du « panem et circenses » d’un lointain empire… au lieu d’une société du loisir, on nous a distrait du réel avec un système d’industries de loisir de masse…

    il y a une dizaine d’années environ, à la veille d’amorcer ma retraite d’une vie qu’on dit active, je m’interrogeais sur ces questions… que faire de ce temps libre… si on réduisait la semaine de travail à une moyenne de trente heures par semaine ou même moins, pour tout le monde, si on ralentissait notre train de vie, si on réduisait notre consommation, si on partageait non seulement le temps mais aussi les ressources, l’énergie, bref, si on apprenait à mieux vivre ?

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    • Exactement, Fernan. L’enjeu est bien celui du mieux vivre, mais que notre société ne peut même plus envisager, tant le dogme d’une vie articulée autour de son axiome principal du travail reste prégnant dans les esprits. L’échec du débat sur les 35 heures en France en est pour moi un exemple retentissant : la majorité des débats s’est concentrée sur la question de sa faisabilité (ou non) économique, sans comprendre à mon sens l’enjeu proposé par la question : comment repenser le travail au 21è siècle ? Débat qui aurait été autrement plus iconoclaste et nourrissant 🙂

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      • J’ai écouté une conférence de la sociologue Saskia Sassen récemment. Elle soutient que les modèles et théories économiques du néolibéralisme qui dominent le monde entier aujourd’hui, un régime encore plus totalitaire à mon avis que le communisme d’antan, fonctionne bien pour l’économie financière mais pas pour l’économie qui tient compte du bien-être des populations.

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      • Merci pour cette référence, Fernan.

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