« Tu tiens la distance »

De la boîte de dentelles versée sur la table, j’ai extrait deux mouchoirs en batiste finement brodés. Délicates reliques familiales d’une époque qui ignorait l’obsolescence programmée, ils vont intégrer l’épopée contemporaine du Zéro Déchet.

La semaine dernière, j’apprenais que mon dernier contrat d’indépendante – celui m’assurant encore un revenu minimum – ne serait pas renouvelé. Ces mouchoirs tombent à pic, ils remplaceront leurs homologues de papier. Chaque petite économie compte, désormais.

Loin de moi l’idée de me plaindre. Nantie d’un toit et de quoi survivre, aguerrie par les années d’infortune que je traverse, je suis bien décidée à transformer ce coup du sort en opportunité. Troc, récupération d’invendus alimentaires, achat de vêtements de seconde main, vide-greniers… sont autant d’occasions de faire avancer le chantier de démonétisation entrepris depuis quelques mois en famille, et… d’en rire !

Car, paradoxalement, la gaieté est revenue à la maison : rien ne manque vraiment, et la moindre petite victoire prend figure de bon tour joué au destin. Hier, à l’annonce des économies réalisées grâce à une gestion serrée de la consommation d’eau, l’explosion de joie des enfants – mis à contribution pour atteindre cet objectif – a fait pétiller les coquillettes-jambon du dîner.

Rien ne manque, et lorsque la question s’est posée d’évaluer avec eux ce dont nous avions réellement besoin pour vivre, leurs réponses ont sonné juste à mes oreilles : être entre amis, rire, que je cuisine leur plat préféré, se faire des câlins…. toutes chevillées au fait d’être ensemble et de partager. Tenue de répondre à mon tour, j’ai pourtant pris la tangente : « J’ai besoin de vide. »

Il me faut du vide en moi et autour de moi. Que je puisse tendre l’oreille, capter sans filtre ni barrière ces signaux faibles dont je me nourris, les laisser se déposer et sédimenter dans le creux intérieur silencieux et flottant que j’appelle mon rêve sans objet. Sans objets, même, car ces derniers m’encombrent en tant qu’ils figent le Réel de par la forme qu’ils lui donnent, en le saturant de signes propres à contrarier mon besoin – vital – d’indétermination. Tout étant décrit, formalisé, comment en effet imaginer ce qui ne l’est pas déjà ?

J’aspire au vide, et j’ai profité de la question posée par mes enfants pour leur raconter mon rêve d’une petite maison de pêcheur sur une île, coquille blanche et nue face à la mer. Meublée du strict nécessaire, sans fenêtres. Une vie dedans-dehors, libre et légère. Pragmatiques, ils m’ont rétorqué que sans argent, il serait difficile de donner un jour forme à cette aspiration. Je me suis alors entendue leur dire : et si on la faisait ici, cette maison ? Si on faisait le vide ? Blanc. L’incongruité de la proposition a suspendu les fourchettes au-dessus des assiettes, mais un vent paraclet s’est insinué dans la cuisine, j’entends la maison qui s’éveille et grince, les volets claquer d’impatience.

« Tu veux dire… tout vider ? » J’ai terminé ma bouchée, puis demandé à mes adolescents pétrifiés par la radicalité du projet s’ils savaient quel unique objet le philosophe Diogène avait choisi de garder, après avoir tout sacrifié de ses possessions antérieures pour aller vivre – comme le dit l’histoire – dans son tonneau :

Un simple bâton de marche.

«  (…) Commode, le bâton. Quand on chemine des jours entiers, il scande le pas. Il soulage quand le chemin grimpe, permet de s’appuyer quand la route descend. Et puis, il tient compagnie, porte la besace, chasse les intrus, impressionne les malintentionnés. Diogène aime son bâton. Il ne s’en séparerait pour rien au monde. C’est drôle. Lui qui a tout quitté, qui a tranché tous les liens, défait les attachements, largué les conventions, les propriétés, les habitudes, il s’appuie sur ce bâton pour avancer dans la vie. Sans ce morceau de bois noueux, lourd, plus haut que son épaule, Diogène serait presque perdu. Il lui en faudrait très vite un autre. Ce n’est pas à l’objet lui-même qu’il tient, mais à quelque chose accompagnant sa marche. La rendant plus humaine, peut-être. Les animaux marchent. Presque comme nous, et parfois même plus loin, plus vite. Mais sans bâton. […] »

Comment marchent les philosophes, Roger-Pol Droit.

49 Commentaires

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49 réponses à “« Tu tiens la distance »

  1. Grande question que tu poses là : comment ne plus être prisonnier de ces objets dont nous nous sommes entourés, et qui finalement sont là pourquoi ? Je me la pose déjà, et pourrais sans doute, pressé par le besoin, me dessaisir d’un certain nombre d’entre eux (mais pas [encore] mes livres !)
    Par contre, ton besoin – vital – d’indétermination, m’interpelle, car je ne suis pas certain de comprendre à quoi il correspond.
    Je te souhaite une excellente journée.

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    • Ce besoin d’indétermination dont je parle est sans doute quelque chose qui m’est assez personnel : d’une certaine manière, ce que j’essaie de dire ici est qu’il m’est nécessaire de garder un espace dans lequel les choses ne soient pas imagées ou décrites, un espace dans lequel les choses n’ont pas pris forme. Quand on peut se représenter quelque chose (une idée, une forme, un objet…), cela m’enlève la possibilité d’inventer « à neuf », et cela fige ma capacité à créer, ou du moins à trouver mes propres voies. C’est difficile à exprimer, cette pensée que la façon dont nous représentons les choses est un carcan pour l’esprit, du moins le mien 🙂 J’espère t’avoir un peu éclairé.

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      • Un espace de créativité?

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      • Oui, et un espace de flou, surtout. J’ai pensé en finissant de poster ce commentaire à ce vers de Shakespeare dans « The Tempest » que j’adore et qui dit  » We are such stuff as dreams are made on, and our little life is rounded with a sleep. » (Soit, grosso modo et s’il y a des non-anglicistes) « Nous sommes de l’étoffe dont sont fait les songes, et notre petite vie est cernée de sommeil. » Ce que je comprends non pas comme un espace de rêve propre à la créativité, mais un lieu indéterminé comme un sommeil éveillé dans lequel on laisse flotter les choses et on leur donne une chance d’arriver sous une forme que notre conscience éveillée n’imaginerait pas.

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      • C’est amusant, Esther : j’y songeais ce matin. Nous aimons les certitudes mais aussi les mystères et l’incertain. Nous avons besoin d’inconnu.

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      • 🙂 Les mystères, en ce qui me concerne, je ne pense pas trop ^^ En revanche, l’incertain et l’inconnu , sûrement. Je crois que c’est une disposition, mais elle n’est pas partagée par tous pour autant : j’ai bien des personnes autour de moi qui tirent leur équilibre d’une existence bien cadrée ! 🙂

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      • Pour moi, les mots de flou et d’indétermination que tu as employés expriment au mieux cet état que je connais bien. J’ai du mal à y penser comme à qqc de positif (mais il parait que j’ai une tendance à être critique envers ce qui me concerne), aussi suis-je intéressée et soulagée de lire ta façon voir les choses.

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      • Il est vrai que j’ai pensé à toi en écrivant ce texte, notamment après avoir lu tes derniers billets 😉 Je crois qu’il s’agit d’une disposition naturelle chez toi comme chez moi, et qu’il n’y a donc pas lieu d’être critique sur ce qui est ; en revanche, c’est une façon d’être-au-monde qui n’est pas toujours simple à assumer, dans un monde qui valorise surtout la détermination ! Et je ne parle pas de la relation à autrui, qui crée des interférences et perturbe cet état que nous avons besoin de préserver pour créer… Tu n’es pas seule dans ce cas, non, c’est vrai que cela soulage de voir cette disposition à l’œuvre chez les autres ^^

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      • Non seulement de la voir à l’oeuvre mais surtout de te voir la penser et en décrire des aspects, ce qui me permet de mieux percevoir ce que moi, je ne sais pas « voir », encore moins analyser et comprendre. Peut-être sont-ce les qqs années en plus que tu as, mais je n’en suis pas convaincue, je serai toujours myope, et je doute que tu l’aies été – ce qui me frappe surtout c’est que le doute est différent chez toi, que tu ne perds pas ton temps à vouloir te conformer, surtout sur des points où au fond se conformer ne serait bénéfique à personne (je dis cela parce que je ne crois pas une seconde en une vertu intrinsèque du refus de se conformer). Tu te connais et tu as le courage de t’assumer. Ca ne « bégaye » pas chez toi – tu vois ce que je veux dire.

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      • Je ne suis pas du tout convaincue que tu seras toujours myope, mais je suis certaine qu’il y a des points sur lesquels il est possible de t’éclairer. Je passe en mail, cela serait trop long à t’expliquer ici, et sans doute trop personnel pour être exposé ici, malgré la bienveillance générale qui y règne 🙂

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      • Effectivement, je comprends mieux le concept, et je crois même que je le partage peu ou prou. Je n’aime pas les certitudes, qui nous enferment et nous empêchent d’appréhender le monde de manière « ouverte ». 😉

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      • Voilà, c’est ça : de manière ouverte, et sans pré-conceptions 🙂

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  2. Faire circuler les objets, vide-greniers et seconde main, sans oublier le « SEL » système d’échange local qui a le mérite de troquer ses compétences à valeur égale et de créer du lien social.
    Nous diminuerons ainsi notre « impact environnemental » de quelques pourcents et par là même le terrifiant gaspillage de nos sociétés modernes.
    Merci pour cet article, Esther, pour ma part, je garderais quand même un morceau de savon 😉

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  3. Bonjour Esther 😊 Mais même en faisant le vide, en enlevant le maximum de choses, il en restera quand même un peu … Pourquoi ce besoin d’espace vide, d’ailleurs tu dis que les choses ne soient pas imagées ou décrites ? Peut être est ce que le vide tu as envie de le faire en toi ?

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    • Bien sûr, tu as raison, il en restera ! Mais ce sera le strict nécessaire ^^ Cette idée de désencombrement n’est pourtant pas liée au besoin de faire le vide en moi, puisqu’il existe et a toujours existé. Mais plutôt au besoin de le garder vide : quand je dis que les objets m’encombrent, par exemple, c’est qu’ils encombrent mon espace de vie, et que leur présence m’encombre l’esprit. Les images façonnent nos représentations et imposent leur forme à l’esprit. Je voudrais garder l’esprit libre !!!

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  4. De tout coeur avec toi. Si tu savais les tonnes d’objets que j’ai appris à laisser derrière, que j’ai sortis de leurs sordides cagibis pour leur rendre la vie, ailleurs. En métrage-cube, si la tendance se maintient, bientôt je serai un trou noir anti-matière (on rigole, là). Règle de base numéro1 : si on a pas touché ou utilisé un objet au fils des 4 dernières saisons, il est condamné à partir refaire sa vie ailleurs. Je dis aussi toujours que si on laisse deux simples objets inanimés au fond d’un cagibi vide, ils se reproduiront nuitamment et dans le temps de le dire, le cagibi déborde. Mais le coeur, lui, n’a pas de jauge, il est destiné à déborder. Amical bise d’outre-atlantique. Tiens bon.

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    • Tu as raison, cela s’apprend, et ce qui ne cesse de m’étonner est de réaliser – objet après objet – combien cela est finalement facile pour moi, même avec les objets dits « sentimentaux », le geste de celui ou celle qui me l’a donné restant infiniment plus précieux que l’objet en lui-même. J’aime ton image du cœur qui déborde, on l’entend palpiter dans tes écrits et je connais son rythme. Je ne lâche rien, n’aie crainte : je ne connais pas d' »autodafé » plus joyeux que celui-là.

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  5. Une belle disponibilité qui ressemble à la vacuité du bouddhisme.

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  6. helmapo

    Allez vous réussir ce que si peu arrivent à accomplir ?
    L’expérience étant collective, la modération devrait aider à ce que chacun puisse s’inscrire dans le vide à la mesure de sa capacité, dans le vide joyeux.

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    • Même si la détermination est bien ancrée, je t n’ai pas l’orgueil de me croire plus forte que quiconque pour accomplir ce projet. Mais en revanche, tu as raison de le souligner, la mise en mouvement que cela suppose est une impulsion joyeuse et un moteur extrêmement puissant, qui suffit déjà en soi et qu’il m’importe de partager pour tenter de le faire essaimer ^^ Chacun peut vivre cet élan, à la mesure de sa capacité, oui.
      En ce qui me concerne, je ne cesse de m’étonner est que la maison se soit déjà vidée de tant de choses, recyclées ailleurs. Et quand je doute, je pense à cette phrase, pêchée je ne sais où : Tout ce qui n’est pas donné est perdu. J’aime l’idée de partir sans laisser de traces ^^

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      • Tu dis bien : donner et non pas…jeter, ce qui arrive trop souvent. C’est bien de recyclage qu’il s’agit plutôt que de gaspillage.

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      • Ah oui, donner, surtout ! A chaque déménagement, j’en fais un challenge, histoire de rendre la chose un peu ludique ^^Lors du dernier, pari tenu, rien n’est parti à la benne, et ça a fait plein d’heureux (qui ne sont jamais bien difficiles à trouver…). Sans compter la satisfaction d’avoir réussi 🙂

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  7. helmapo

    Boris Cyrulnik disait ce matin à la radio que la créativité naissait du manque (selonnmoi au sens de vide) et que ceux qui sont gavés n’ont rien à dire !
    À pic pour ton édito.
    Alors continue de préserver ce vide pour nous donner ta parole riche et vibrante, nourricière de l’essentiel.

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    • A pic, en effet 🙂 Je partage son avis, tout en pensant comme toi que le terme de « vide » sied mieux à ce qu’il suggère de la créativité. L’adjectif « gavé » me frappe par sa précision, qui vient renforcer cette aspiration d’ascèse qui me taraude.

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  8. Tout simplement magnifique ! Comme je le comprends ton besoin de vide ;o)

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  9. rimbaldine

    Faire le vide, j’en ai besoin aussi… Pour laisser la place à ce qui est important, à ce qui peut arriver, être libre de recevoir les cadeaux, les surprises de la vie.
    Etre libre de laisser la place aux mots, aux images, à la légèreté, à ce petit grain de folie…
    Merci pour ce texte Esther !

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  10. Je me retrouve énormément dans ce besoin de vide, moi qui tends de plus en plus vers le minimalisme, étouffée par la surconsommation absurde de tout ce qui est commerciable. C’est super de faire cela en famille, pourtant avec des ados c’est pas gagné d’avance !

    « Sans objets, même, car ces derniers m’encombrent en tant qu’ils figent le Réel de par la forme qu’ils lui donnent, en le saturant de signes propres à contrarier mon besoin – vital – d’indétermination. « , j’adore cette pensée. À méditer.

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    • On étouffe de tout cela, je partage ton avis 🙂 Pour les ados, je crois que l’idéalisme propre à cette période d’âge est un levier très puissant, en dépit du fait qu’ils sont d’une génération biberonnée au consumérisme. Ils sont pris dans des combats comme les marchés pour le climat, et très sensibilisés à l’écologie, ce qui leur tient lieu d’idéal citoyen. Les miens, du moins, mais je constate que la contagion gagne dans leurs cercles ! L’idée d’être autonome matériellement, de se débrouiller sans argent est aussi une problématique qui leur parle ( à cet âge, ils sont souvent fauchés ^^). Sans parler du petit aspect anarchiste de la démonétisation qui plaît beaucoup à mes ados 😀

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  11. Ma maison déborde d’objets, surtout avec les jouets des enfants, et tout ce qui s’est accumulé! J’ai comme toi envie de vide. Le vide nécessaire pour respirer et percevoir ce qui vibre… Et faire le vide, n’est-ce pas donner de l’espace à l’inconnu et au rêve?

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    • Il est vrai que la période de la petite enfance et les jouets n’aident pas, cela me rappelle des souvenirs encore frais ^^ J’aime l’idée que tu penses que le vide puisse servir à faire place à l’inconnu. En te lisant, j’ai réalisé que ma quête du vide était motivée par l’envie que quelque chose me surprenne, et depuis je n’ai cessé d’y penser 🙂 A suivre ! Merci de tes mots et de ce qu’ils ont mis en mouvement en moi.

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  12. Je lis seulement aujourd’hui ce texte et me demande bien comment je suis passée à côté! Je comprends, je crois, un peu ce que tu exprimes et ressens.
    Cela fait du bien de gommer les contours, d’élaguer et de vider, d’éclaircir au maximum l’espace. De l’air, de l’air! Se sentir plume.

    Merci pour la citation extraite de La tempête de Shakespeare.
    Un grand souffle d’air et de courage régénérateur à toi.

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    • Moi aussi, j’ai beau être vigilante, je découvre souvent tes écrits à rebours… en en ratant quelques-uns au passage 🙂 Mais cela permet aussi de musarder sur ces mêmes blogs et de découvrir ou de retrouver des textes que l’on aime bien, donc ce n’est pas grave ^^ J’aime beaucoup cette formule « gommer les contours », c’est une image qui me parle ! Je constate en lisant les réactions des uns et des autres à ce billet que le besoin de d’air et de légèreté est partagé par beaucoup d’entre nous. Et je trouve ça réconfortant. Merci de tes encouragements, je les mets dans mon baluchon de route 🙂 Bel été à toi.

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  13. Je découvre ton post aujourd’hui, je ne sais pas ce qui c’est passé, je ne l’ai pas vu passer dans ma rubrique « Lecteur ». J’ai souris de ta réponse à tes enfants, « J’ai besoin de vide ». C’est une expression que l’on utilise parfois, quand on est préoccupé par quelque chose et que cette chose devient trop envahissante. Je l’entends comme « J’a

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  14. Oups, fausse manœuvre… Je l’entends comme « J’ai besoin de faire le plein », de trouver un état où rien ne me manque, la plénitude et tes enfants ont raison, sur un point, tu n’as pas besoin d’île déserte pour cela, je rajouterais, ni même de jeter ta télé (au cas où tu en ais une) par la fenêtre. Je me suis replongé dans Cioran ces derniers temps, j’ai découvert d’ailleurs que Bobin en était un admirateur, il en parle dans un livre que je vais m’empresser de trouver, et ce qui me fait penser à lui en te lisant, c’est qu’il écrit à un endroit qu’on écrit pas parce que l’on a quelque chose à dire, mais pour écrire. J’ai noté l’aphorisme mais je ne l’ai pas avec moi. Ca m’a interpellé parce que j’ai retrouvé la même idée chez d’autres auteurs, et en moi. Philippe Tesson a dit par exemple la même chose l’autre jour, dans une émission qui lui était consacrée, il disait qu’il avait besoin de voyager parce qu’il n’était pas un écrivain de l’imaginaire, ou quelque chose comme ça, autrement dit, il ne voyage pas pour le voyage mais pour écrire. Cioran parle du moment de l’écriture comme d’un moment de rencontre avec Dieu, il faut l’entendre, c’est en tous les cas comme ça que je l’entends, comme un moment de plénitude, tu n’es pas d’accord ?

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    • J’aime bien l’idée que tu inverses mon propos 🙂 Quant à cette idée que tu entendes ce besoin de vide comme un besoin de plénitude, cela m’interpelle ! J’allais écrire à l’instant que ce n’est pas ce que je ressens, mais ce que tu exprimes a planté une flèche, et je vais maintenant écouter la vibration de l’impact… pour voir ce qu’elle a à me dire. T’ai-je dit que j’adore Cioran ? 🙂

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    • PS : Je réfléchis aussi à ton aphorisme… Je suis tout à fait d’accord sur le fait qu’on n’écrit pas parce que l’on a quelque chose à dire, mais pas sur l’idée de le faire pour écrire. Du moins, je n’écris pas pour le fait d’écrire, mais plutôt parce que je ne peux pas faire autrement. Ecrire est pour moi comme une nécessité, une poussée intérieure dont il faut que je me « débarrasse » en lui donnant une forme. Tant que je ne l’ai pas fait, je ne peux plus faire autre chose, du moins être présente à ce que je fais. Ce n’est pas un état agréable, d’ailleurs, ça ressemble à de l’intranquillité, comme dirait Pessoa 🙂

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      • Ça y est, je suis rentré chez moi, j’avais hâte de poursuivre. Le lien entre le vide et la plénitude, un auteur (ça n’est pas le seul, je crois que tous ceux qu’on range dans les auteurs mystiques, athées ou pas, je pense à Georges Bataille, ou à Cioran) l’a fait, c’est Maître Eckart dans un de ses célèbre sermon ;

        Fais le vide afin d’être comblé
        Encore une autre consolation du même genre. Aucun récipient ne peut contenir deux boissons différentes. S’il doit contenir du vin, il faut nécessairement le vider de son eau. Il faut que le récipient soit nu et vide. C’est pourquoi, si tu veux recevoir la joie divine et Dieu, il faut nécessairement que tu te vides des créatures. Saint Augustin dit : « Fais le vide afin d’être comblé. Apprends à ne pas aimer, pour apprendre à aimer. Détourne-toi afin que tu sois bien tourné. » Pour que ce soit dit en bref : tout ce qui doit accueillir et être réceptif doit nécessairement être nu et vide.

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      • C’est toujours assez extraordinaire pour moi de lire tes commentaires, et de rester à chaque fois stupéfaite des liens que tu me proposes en écho à mes textes. Tu as une façon de « lire » qui me propulse au-delà de ce que je tente de dire, et me pousse à augmenter mon exigence vis-à-vis de moi-même. Tu devrais être éditeur ! 🙂
        Merci à toi de ce texte, que je vais ruminer pour en extraire ce qu’il fait naître, et -j’espère – le partager ici.

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      • Editeur, c’est la première fois que l’on me suggère de faire cela, alors que comme je te l’ai déjà dis, je suis un piètre lecteur, quantitativement en tout cas. Par contre, je ne crois pas t’en avoir déjà parlé mais j’ai trouvé un écrivain qui lit à ma manière, ou plutôt, eut égard à son talent, c’est moi qui lit comme lui… Il s’agit de Roland Barthes. Ça m’a amusé de l’entendre dire qu’on ne doit pas s’imposer de lire des livres en entier, qu’on pouvait très bien se contenter de lire des fragments et allez voir ailleurs pour peu que cette lecture vous donne l’envie d’en lire une autre. Dans son écriture aussi il procédait par fragments, le titre de son livre le plus connu à lui seul l’atteste, « Fragment d’un discours amoureux ». C’est à lui entre autre que je pensais quand je parlais d’auteurs qui auraient fait leur la citation de Cioran. C’est un commentateur de Barthes qui le dit dans une interview, selon lui peu lui importait ce qu’il écrivait pourvu que ça soulageait son besoin d’écrire, il faut savoir que Barthes n’écrivais que sur commande et particulièrement pour produire des cours, c’est loin de l’image que l’on a de l’écrivain qui écrit dans son coin poussé par son seul désir de dire, et qui plus est, Barthes n’a pas écrit ce qu’il voulait, il aurait voulu écrire un roman. Toute proportion gardée, moi non plus, je n’écris pas ce que je veux, si je pouvais choisir entre mes Rubayat ou mes sonnets et un roman, je choisirais aussi le roman, qui plus est, un roman comme en écrivait Marguerite Duras. Mais cette force dont tu parles, qui pousse à écrire, cette force dévastatrice si on lui résiste (peut-être faut-il la connaître pour comprendre qu’il n’y a aucune exagération dans l’adjectif employé pour la qualifier, le suicide est à portée de fusil des artistes ou de pistolet comme dirait Romain Gary ou V Van Gogh) , je la connais aussi. J’écris au creux de ma main, les rimes que je me donne pour contrainte d’utiliser, pour les avoir à tout moment sur moi, pour pouvoir m’y plonger quand l’angoisse pointe le bout de son pointu, le fait de chercher des vers les apaise. J’ai un travail qui me permet de faire cela de temps en temps, sans quoi il je ne sais pas comment je pourrais travailler, (c’est parfois très très limite, j’ai décroché pendant 6 mois récemment et j’étais au raz des pâquerettes, presque en dessous), je crois que je ne pourrais pas. Les artistes ne sont pas des fainéants, loin s’en faut, ils travaillent, ils travaillent, ils travaillent au-delà du raisonnable parfois, souvent quand les braves gens dorment, comme Cioran l’insomniaque, ils travaillent parfois pour des billes, à la beauté du monde. Ceci dit, si j’étais éditeur, tu ferais parti des gens que je lis régulièrement sur la toile que j’aurais envie de faire connaitre, je te lis d’ailleurs comme on lit un livre, on suit ton aventure intérieur en même temps que le direction que prend ta vie. Ce qu’il y a de bien, c’est que ce que tu ressens à la lecture de mes commentaires, je le ressent à ta lecture, une libération.

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      • Voilà la citation ;

        On n’écrit pas parce qu’on a quelque chose à dire mais parce qu’on a envie de dire quelque chose.

        Cioran

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      • Voilà, c’est exactement ça : on est poussés par cette envie 🙂

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  15. wmpixeltorii

    Dévider…et les enfants soutiennent, respect.

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    • Bienvenue sur ce blog ! Je ne suis pas sûre de saisir ce que tu entends par « dévider », mais il est certain que les enfants soutiennent ce chantier du « vide ». Je crois que ce qu’ils en retirent et qui les réjouit est finalement assez simple : le sentiment d’être acteurs de leurs vies, de contribuer à leur mesure au collectif 🙂

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