Les enfants sont partis vivre leurs vies adultes, j’ai remis le chauffage dans la maison. Son enveloppement tiède cautérise.
Lever tardif, ce matin. Je flotte dans un quotidien dont j’avais perdu le souvenir : une vie sans enfants. Traversée de courants contraires, je rumine idées et projets d’avenir, tout en ayant le curieux sentiment de m’empêcher moi-même de m’y atteler.
La maison devenue trop grande s’effiloche, elle est en vente. Caves et pièces essaiment leur contenu à tous vents. Il faut faire place nette, tout laisser derrière soi, et ce faisant, affronter le paradoxe suivant : pour faire le vide, il faut tout enlever, absolument tout, sauf le vide.
Le vide, c’est l’Inconnu. Année après année, j’ai infusé la moindre parcelle du monde à ma disposition pour nourrir le temps et l’espace de mes rêves et en accoucher. Mais je sens que l’heure est venue de laisser faire le Vide. Comme si agir éludait d’emblée ce que j’ai à en apprendre. En aurai-je le courage ? Quand tout est vide, on n’est plus protégé, et il faut alors accepter de se laisser traverser, supporter cette vacuité et en attendre les effets.
J’ouvre les pièces, l’une après l’autre, je dois inaugurer le bal de la journée qui commence. La chambre de ma fille est calme, mais – même débarrassée de son contenu – continue d’exister en tant que telle, et constitue désormais un espace inhabité dans lequel je peux marcher, courir, m’allonger, crier, danser, rire, chanter ou me taire… tout comme m’y asseoir et ne rien faire. Je souris : les murs n’ont aucune importance, la pièce n’est plus un contenant, son vide est devenu un contexte, un espace de possibles, que je peux déployer à l’infini au gré de mon imagination. Rien à voir avec le néant des nihilistes.
Oubliées les chambres désertes qui serrent le cœur, la maison vaisseau-fantôme. Dans l’espace nu, on devient libre de circuler et de se percevoir. J’entends mes pieds nus effleurer le sol, le souffle soudain plus ample de ma respiration, mon cœur qui reprend sa course joyeuse.
Dans le vide, on chemine.
***
« L’homme libre suit la Voie, il n’est pas domestiqué ni dressé, il est vide comme le Ciel ». Tchouang Tseu
*René Char, Fureur et mystère.
Le vide et le silence. Je suis allé à un concert de musique classique récemment, Dvorak, La symphonie du nouveau monde, et la dernière note était le silence. Le chef d’orchestre l’a fait tenir aux musiciens pendant une poignée de seconde jusqu’à ce qu’il baisse la main qui leur indiquaient de ne plus bouger. J’ai pensé que ce silence était l’apogée du concert, que tout ce qui l’avait précédé avait eu pour fonction de permettre son avènement. C’était un silence habité. C’est pareil pour le vide dont tu parles, il est habité, tu dis d’ailleurs par qui il l’est, l’Inconnu.
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Ce que tu dis de l’avènement m’a instantanément parlé. Et tu ne pouvais trouver meilleure image que celle de l’orchestre, pour moi qui suis une auditive avant tout 😉 Quant à l’Inconnu, dont je comprends qu’il est pour toi une personne, je crois qu’il correspond pour moi à un principe de déstabilisation nécessaire. Quelque chose qui puisse me traverser et me transformer sans que j’aie besoin de le fixer d’une manière ou une autre (en le formalisant ou simplement en le « pensant »). C’est drôle, moi qui suis profondément athée, je viens de penser au Vent Paraclet, comme l’image la plus juste à te donner pour exprimer ce que je pensais en t’écrivant ces mots. Les tiens ont décidément le don d’éclairer les miens. Merci.
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Cela fait quelques années maintenant que nos mots nous parlent mutuellement. Ça m’a fait bizarre de lire que tes enfants faisaient leur vie désormais. Le temps passe, c’est un pléonasme, que peut-il faire d’autre que de passer ?
« Quelque chose qui puisse me traverser et me transformer sans que j’aie besoin de le fixer d’une manière ou une autre (en le formalisant ou simplement en le « pensant »). »
Cela m’évoque Sainte Thérèse D’avila racontant sa transverbération (emprunté au latin transverberare « transpercer », et signifiant « traverser de part en part »).
« J’apercevais près de moi, du côté gauche, un ange sous une forme corporelle. […] il n’était point grand, mais petit et très beau ; à son visage enflammé, on reconnaissait un de ces esprits d’une très haute hiérarchie, qui semblent n’être que flamme et amour. […] Je voyais dans les mains de cet ange un long dard qui était d’or, et dont la pointe en fer avait à l’extrémité un peu de feu. De temps en temps il le plongeait, me semblait-il, au travers de mon cœur, et l’enfonçait jusqu’aux entrailles ; en le retirant, il paraissait me les emporter avec ce dard, et me laissait tout, embrasée d’amour de Dieu. »
Elle raconte donc avoir elle aussi été traversée (par une flèche) et transformée (embrasée d’amour de Dieu).
Je ne me considère pas comme croyant, mais il se trouvent qu’il est des écrits de croyants qui me parlent au plus haut point. Ce que trouve Thérèse d’Avila ici, c’est ma quête de tous les instants, que je vienne en aide à des enfants handicapés mentaux, que je passe du temps avec ma famille, avec des amis, que je fasse des rimes ou que j’écrive un commentaire, comme ici. D’aucun appellent cela la quête de Dieu, d’autres d’un je-ne-sais-quoi ou d’un presque rien : « La lueur timide et fugitive, l’instant-éclair, le silence, les signes évasifs – c’est sous cette forme que choisissent de se faire connaître les choses les plus importantes de la vie. Il n’est pas facile de surprendre la lueur infiniment douteuse, ni d’en comprendre le sens. Cette lueur est la lumière clignotante de l’entrevision dans laquelle le méconnu soudainement se reconnaît. Plus impalpable que le dernier soupir de Mélisande, la lueur mystérieuse ressemble à un souffle léger… »
Vladimir Jankélévitch (1903-1985)
Certains utilisent même les deux pour dire cela, à la fois Dieu et Un je ne sais quoi, comme Saint Jean de la Croix.
Il me semble que la différence entre les deux est juste question de personnification.
Je fais une formation de sauvetage en ce moment, ça me plait beaucoup, je suis assez sportif et j’aime nager, en mer en particulier. Je me suis équipé pour cela et aux beaux jours je vais longer la côte, la nature m’est alors présente, intensément. J’ai pensé que je pouvais joindre l’utile à l’agréable et rejoindre les sauveteurs en mer. Ça tombe bien, ils cherchent du monde et je suis allé les rencontrer hier. Nous avons un peu discuté. Ils étaient quatre et en chacun d’eux j’ai trouvé la même caractéristique psychologique, si je puis dire, une grande gentillesse et humilité, là aussi ça me semble un pléonasme. Je me suis senti en tous les cas très à l’aise au milieu d’eux. J’ai pensé que j’aimerais être des leurs. Ça ne roule pas des mécaniques, ça le pourrait pourtant, c’est des anti-héros, en tous les cas comme on conçoit ce qu’est un héros habituellement.
Je suis convaincu qu’ils font ce qu’ils font pour être traversés, transformés, comme tu dis, j’en suis convaincu et il me semble qu’on n’est jamais transformé une bonne fois pour toute, que l’on va de transformation en transformation et que chaque transformation nous fait devenir « meilleur », plus gentil, plus humble et plus heureux.
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Et je rajoute, que cette transformation ne peut se faire sans un contact avec les autres, que ce soit par l’échange verbal ou écrit. C’est pour cela que nous lisons, aussi, je crois, et que nous écrivons, pour être transformés.
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Te revoilà, chère Esther, puis-je croire que le souffle de mes souhaits s’est fait bon vent en traversant l’océan. Bonne journée!
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Alakazoum, exaucé ! 😀 Bonne journée à toi itou, je n’avais pas complètement disparu, mais j’ai un peu traversé les quarantièmes rugissants ces derniers temps. Les temps sont un peu plus calmes, je reviens au port 😉
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Accepter le vide
un chemin de sagesse
paradoxalement riche
Bon vent ;o)
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Je ne sais pas s’il me conduira vers la sagesse, mais j’aime l’idée qu’il mène au détachement 🙂
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