Finis les alibis, les défausses. L’atelier est prêt, j’ai enfin un espace dans lequel articuler ma solitude.
Mon Graal sommeille dans une pile de cartons qui, pour l’heure, encombre ce lieu dont j’ai tant rêvé : un atelier. L’heure n’est plus à la sédimentation. Ma colère, ma peur, mon désir, mon âme… sont autant de blancs cailloux qui auraient longtemps cheminé dans la forêt de l’inconscient.
Encore emballés, dessins, gravures et projets jamais achevés me somment de leur donner corps : « Que vas-tu faire de nous ? ». Mais l’habituelle poussée joyeuse de mes élans de créativité s’est muée en tord-boyaux. Je suis en apnée au seuil d’un gouffre creusé par l’effraction brutale de la trahison, de l’injustice, puis de la maladie tout au long des années délétères que je viens de traverser.
Le temps met en état de siège. Il y a désormais un « avant » et un « après » dans ma vie, la souffrance a altéré mon rapport au monde. Impossible de retrouver la gaie pulsion qui rendait ma vie si légère. L’angoisse est un étranglement qui sonne langue étrangère, s’étend chaque jour un peu plus. La terre vacille, ma santé, celle de mes parents vieillissants aussi. Des perspectives inenvisageables prennent figure, en Ukraine, aux portes de l’Europe. Au 21ème siècle !
Créer dans un monde en dérive quand la vie tient du compte à rebours ? Tout me semble si dérisoire, grotesque, insignifiant. Pourtant, aussi astringente qu’elle puisse être, la souffrance extirpe une essence en nous signifiant que nous sommes vivants, érige ainsi le principe de vie au-dessus de tout.
En ouvrant un premier carton, un nœud s’est relâché, une vibration est revenue, qui ne passe peut-être plus aujourd’hui plus par la jubilation, mais doit trouver une autre formule, faire œuvre au noir. J’ai désormais une chambre à moi, une cellule qui est aussi la condition de ma liberté. Je vais m’atteler à y retourner ma peau, faire face pour ne pas me laisser réduire à cette souffrance qui ne me renvoie qu’à moi-même, est comme un mensonge sur ce que je suis et dans laquelle je ne me reconnais pas.
Je est une autre.
» À cette limite de l’imaginaire et du monde, la souffrance nous situe en tant qu’êtres humains : si elle est déchirure, elle est aussi passage étroit, porte étroite, par où se fait entendre l’invitation à devenir Autre que ce que j’imagine être, à naître comme sujet pour un Autre. Elle est le corollaire de notre devenir dans le monde. Tant que l’homme souffre, il peut encore faire son chemin dans le monde. » Denis Vasse, in « Le poids du réel, la souffrance. »
Je ne sais rien de ta vie, ta souffrance, ta solitude. Mais je sais que la création est un remède. Alors courage, crée et … partage.
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Merci de tes mots, André. Je sais que tu as raison pour ce qui concerne la création, mais j’ai du mal à affronter le fait qu’elle ne soit plus un élan aussi naturel qu’elle l’a été. Que tu me rappelles ses vertus prophylactiques est un encouragement bienvenu, je t’en remercie.
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Il faut peut-être un peu forcer, au début, quand le robinet a été trop serré trop longtemps. Mais peu à peu le flux reprend, nous irrigue, nous ramène à la vie. Courage, donc. 🙋♂️
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Chère Esther, la meilleure façon d’atteindre l’universel dans la création c’est de se coller au maximum à soi-même, j’ai oublié qui a énoncé ce postulat mais son sens ne m’a jamais plus échappé. Bon « retour » et sache que ma fidélité t’est acquise.
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Cher Flying Bum, je sais que tu as raison, mais parfois je me fatigue moi-même de ma propre compagnie…. quel enfermement impitoyable 😀 Merci de ta fidélité, elle compte et la mienne te l’est également. Je suis peu sur les réseaux depuis un temps, mais abonnée à tes écrits et les suis régulièrement grâce aux notifications, qui -pour une fois au milieu de tous les pourriels dont nous sommes inondé.e.s – servent à quelque chose d’utile ! :-))
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« Nous sommes vivants » c’est ce que j’ai envie de retenir à cet instant Et être vivant, c’est Etre, avec nos souffrances qui restent si difficiles à partager , nos envies de soleil qui collent mal avec le réchauffement climatique, notre besoin des autres qui vite nous étouffent, nos yeux qui veulent toujours voir plus loin et ratent souvent l’essentiel… Mais c’est aussi vibrer, sentir profondément, créer, aimer … « Quand ton âme blessée ne sait plus où regarder, offre lui simplement un peu de repos « .
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Merci de tes mots, Isabelle. Ce matin, la phrase affichée au cours de yoga où j’essaie de me dénouer était « Vide la tasse » (proverbe zen), et cela reprend ce que tu dis du repos nécessaire pour soigner ce qui nous blesse. J’essaie de me laisser traverser par la vie, mais c’est difficile pour moi en ce moment. Je ne perds pour autant pas courage ! Tes dernières aquarelles de Bretagne ont été une respiration, ton talent fait qu’elles incarnent la Vie 🙂
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Je me dis en te lisant, que peut être se laisser « traverser par la vie » n’est pas le bon remède puisque la Vie implique par définition une réelle implication de soi… Mais comme toujours, les mots, bien que riches de sens, se heurtent à notre complexité humaine, le cœur a ses raisons que la raison ignore. Vider la tasse et mettre son âme blessée au repos, c’est je crois, exprimer d’une façon ou d’une autre, ce qui nous empoisonne, donc au sens littéral du mot exprimer : faire sortir de nous ce qui est toxique comme on exprime le jus d’un citron en le pressant. Puis, phase du repos : respirer, choisir tant que faire se peut, les lieux où nous pouvons marcher librement et qui favorisent notre paix intérieure, les personnes qui par leur bienveillance et leur écoute sont une aide précieuse, faire du yoga oui en effet, par exemple et surtout se reconnecter à la vie présente, ses bruits, ses odeurs, ses couleurs sans laisser notre mental nous étouffer de nouveau…je sais Esther qu’il n’y a pas de recette miracle, que ta sensibilité extrême et ton intelligence ont déjà saisi tout cela… Si je l’écris et maladroitement sans doute, c’est que je crois profondément que nous sommes les seuls détenteurs de notre salut , que nous possédons au fond de nous des ressources insoupçonnées …moi c’est par l’aquarelle que j’explore ces ressources. Toi tu as ton écriture, si belle et si précieuse, pour toi et pour nous autres…
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Merci de tes mots, Isabelle, qui n’ont vraiment rien de maladroit, tant ils témoignent avec délicatesse et une grande intelligence de cœur et d’esprit de toute ton humanité. Quand je parlais de se laisser traverser par la vie, je voulais dire en réalité, se laisser « imbiber » par la vie (odeurs, couleurs, sensations…). Tu as eu bien raison de rappeler la nécessité de l’implication , je partage avec toi l’idée que c’est cet engagement qui nous mobilise et donne leur signification profonde à nos actes et nos créations. Je vais aller respirer l’air ailleurs pendant quelques jours dans un endroit qui m’est cher, je penserai à toi en marchant.
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Que j’aime le goût si particulier de ces échanges quasi épistolaires au travers desquels je retrouve la qualité des vrais échanges qui ne sont hélas pas l’apanage de toutes nos belles technologies modernes ! Je comprends en effet l’imprégnation à laquelle tu fais allusion, en ce qui concerne les odeurs, les couleurs, les sensations. Connais tu le Shinrin yoku ? Et la biophilie ? C’est l’art de la science du bain de la forêt (dont les japonais se sont fait les maîtres) selon lesquels, l’être humain est fondamentalement et génétiquement relié à la nature dont il est issu. Nous avons un besoin viscéral de nous connecter à elle mais l’avons oublié. Notre société nous éloigne de ce qui nous constitue fondamentalement, d’où un stress et une incapacité à y faire face, à des proportions jamais atteintes.Bref, bref, bref… Si tu peux aller marcher en pleine nature, tu pourras te reconnecter avec elle et ce faisant, mettre à profit les bienfaits de cette connection, au travers du Shinrin yoku. Et je suis sûre que cela te fera beaucoup de bien 😘
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Je ne connais ni la biophilie ni le Shirin yoku, mais ce que tu en dis me parle complètement. C’est Watts ( si tu connais ce philosophe) qui disait qu’une des manières les plus sûres de tuer l’homme, c’était de le couper de son environnement… et je suis d’accord avec lui, comme avec ce que tu dis de la perte de cette connection vitale pour beaucoup trop d’entre nous. Depuis plusieurs mois, j’essaie de sortir autant que je le peux, pour aller retrouver du « vert » et du « vivant » plus globalement. Il y a beaucoup de saules argentés et de peupliers près de chez moi, j’adore ces arbres et leur vision m’emplit le cœur. C’est un début 😉
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Je rajoute que la qualité des échanges avec celles et ceux qui, comme toi, prennent le temps de déposer leurs mots ici est un vrai bonheur pour moi aussi. On converse, au sens noble du terme, tu as raison de le souligner. C’est pour moi un réconfort précieux de penser que je ne suis pas seule à rechercher un sens profond à mes échanges avec autrui.
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