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« C’est de l’auto-sabotage permanent. »

J’ai fait le vide, tout laissé derrière moi. Mais j’hérite de la possibilité de renouer avec l’inconnu.

La maison est vendue, les enfants sont partis, et j’ai abandonné mon travail, faute d’en tirer une rémunération décente. Je flotte dans un vide effrayant, tout en pressentant qu’il va en émerger quelque chose.

Pas un jour ne se passe sans qu’entourage et amis ne multiplient les mises en garde, prêchant la nécessité du principe de précaution. Posture pétrie de sollicitude, mais aussi de l’angoisse que provoque en eux cette mise à nu. La radicalité de mon geste effraie.

Hier, au cours d’une conversation, l’accusation d’auto-sabotage si souvent proférée à mon encontre a ressurgi : « Tu construis une marche, c’est aussitôt pour la détruire. Tu n’arriveras jamais à le monter, ton escalier. » Mais qui a postulé que je voulais construire, voire monter cet escalier ? Je me suis gardé de répondre. L’acharnement si contemporain consistant à organiser, planifier, matérialiser, embarqués dans l’idée que nous ne pouvons qu’aller de l’avant, m’a toujours évoqué la course absurde et folle du hamster dans sa roue. Dont le mouvement ininterrompu m’accable, alors même que le moment où la bestiole perd inéluctablement le contrôle – et est éjectée de sa roue sans ménagements ! – déclenche immanquablement mon hilarité la plus pure.

Oui, vouloir perdre le contrôle est à la racine de mon choix. Dans l’entre-deux vies que je traverse, je ne peux plus rien programmer. Seulement espérer une transformation, attendre la dissolution définitive du plus petit souvenir de toutes ces journées rodées comme un numéro de claquettes, passées à se tenir dans la complaisance de ce que l’on est et de ce que l’on sait faire.

De la même manière, abandonner ma vie telle qu’elle était desserre l’étouffement provoqué par la pléthore de choix auxquels nous confronte notre société de l’Avoir, ce système boursouflé dans lequel on nous enjoint sans relâche à changer de téléphone, d’ordinateur, de voitures, de vêtements… véhiculant par là même l’idée délétère qu’il nous est impossible de renoncer à quoi que ce soit.

Au fil des semaines, des images mentales totalement inhabituelles s’imposent peu à peu, dessinant un espace immense à investir, ouvrant le passage à une autre dimension. L’accablement le dispute parfois à l’enthousiasme, mais la vigueur d’une injonction intérieure à laquelle je ne peux échapper relance un élan dont j’avais fait le deuil : désirer être, tout simplement.

Renoncer pour désirer ? Nul auto-sabotage dans tout cela, mais l’aventure consistant à accueillir une vie dans laquelle vide extérieur et intérieur créent un espace immatériel sur lequel je peux projeter, créer, effacer, recommencer indéfiniment, sans jamais avoir pour objectif préalable de concrétiser définitivement mes intentions. Et dans lequel je peux expérimenter le plaisir du remaniement constant, sur lequel repose justement le mouvement du désir.

Plus encore, ce renoncement m’offre une inestimable opportunité : exercer pleinement ma liberté.

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« Enfonce-toi dans l’inconnu qui creuse. Oblige-toi à tournoyer. »*

Les enfants sont partis vivre leurs vies adultes, j’ai remis le chauffage dans la maison. Son enveloppement tiède cautérise.

Lever tardif, ce matin. Je flotte dans un quotidien dont j’avais perdu le souvenir : une vie sans enfants. Traversée de courants contraires, je rumine idées et projets d’avenir, tout en ayant le curieux sentiment de m’empêcher moi-même de m’y atteler.

La maison devenue trop grande s’effiloche, elle est en vente. Caves et pièces essaiment leur contenu à tous vents. Il faut faire place nette, tout laisser derrière soi, et ce faisant, affronter le paradoxe suivant : pour faire le vide, il faut tout enlever, absolument tout, sauf le vide.

Le vide, c’est l’Inconnu. Année après année, j’ai infusé la moindre parcelle du monde à ma disposition pour nourrir le temps et l’espace de mes rêves et en accoucher. Mais je sens que l’heure est venue de laisser faire le Vide. Comme si agir éludait d’emblée ce que j’ai à en apprendre. En aurai-je le courage ? Quand tout est vide, on n’est plus protégé, et il faut alors accepter de se laisser traverser, supporter cette vacuité et en attendre les effets.

J’ouvre les pièces, l’une après l’autre, je dois inaugurer le bal de la journée qui commence. La chambre de ma fille est calme, mais – même débarrassée de son contenu – continue d’exister en tant que telle, et constitue désormais un espace inhabité dans lequel je peux marcher, courir, m’allonger, crier, danser, rire, chanter ou me taire… tout comme m’y asseoir et ne rien faire. Je souris : les murs n’ont aucune importance, la pièce n’est plus un contenant, son vide est devenu un contexte, un espace de possibles, que je peux déployer à l’infini au gré de mon imagination. Rien à voir avec le néant des nihilistes.

Oubliées les chambres désertes qui serrent le cœur, la maison vaisseau-fantôme. Dans l’espace nu, on devient libre de circuler et de se percevoir. J’entends mes pieds nus effleurer le sol, le souffle soudain plus ample de ma respiration, mon cœur qui reprend sa course joyeuse.

Dans le vide, on chemine.

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« L’homme libre suit la Voie, il n’est pas domestiqué ni dressé, il est vide comme le Ciel ». Tchouang Tseu

*René Char, Fureur et mystère.

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« Tu tiens la distance »

De la boîte de dentelles versée sur la table, j’ai extrait deux mouchoirs en batiste finement brodés. Délicates reliques familiales d’une époque qui ignorait l’obsolescence programmée, ils vont intégrer l’épopée contemporaine du Zéro Déchet. Lire la suite

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«Le réel, c’est quand on se cogne »

L’argent manque, il faut tout compter, trouver des solutions. Hier, pour le dîner, je suis allée récupérer des invendus alimentaires, cédés à petit prix. Lire la suite

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