Petites morts

« J’ai fait du sexe ». La réponse à ma question te demandant comment tu allais est tombée.

Assise en face de toi dans ce bar, je ne cille pas. Le corps a ses raisons que la morale ignore, je ne le sais que trop bien. Enumération détaillée, litanie des échanges de fluides. Je t’écoute, poreuse. Guette le signe qui traduirait l’appétence, un soupçon de luxure, voire de débauche. Quelque chose qui t’animerait, au sens premier de donner l’apparence de la vie.

L’information arrive, de biais : « Ce qui est bon, c’est que je n’en ai rien à foutre ». Ton large sourire, tout soudain. J’accuse réception, verrouillage instantané. Evacuer mon ressenti, ma perception. Ne pas  te répondre, mais chercher à comprendre.

Dans le taxi, sur le chemin du retour, je regarde la ville devenue étrange, plus ou moins inquiétante, défiler à l’extérieur. Retirée en moi-même, détachée, coupée de tout. Instants pendant lesquels on ne dispose plus que du rempart de soi.

« Rien à foutre » : énième petite mort, qui s’ajoute à tant d’autres, me frappe d’autant plus qu’en l’espèce, le détachement, la froideur s’inscrivent au cœur de la plus grande intimité corporelle. Celle qui – même inscrite dans un contexte totalement dénué d’affect – est pourtant supposée nous reconnecter au vivant du corps.

Rien à foutre, c’est le zéro absolu. L’éradication de tout, et partant, de l’Autre. Une forme d’onanisme contemporain comme tant d’autres, dans laquelle « faire du sexe » se réduit au seul frottement de deux parcelles de chair. Et ce faisant, fait porter comme un archaïsme ridicule à ceux qui la professent la croyance obstinée dans l’absolue nécessité d’un semblant de sentiment, ou du moins de complicité, pour mélanger leur intimité à autrui.

Lu ce matin, dans le journal : «  Ce n’est pas une folie d’être djihadiste. C’est un processus qui vous mène à ne plus ressentir de sentiments. »

«  Rien à foutre. » Massacrée, net.

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