Eté indien, en surplomb de la plaine. Debout, dans l’engobe du vent qui – en bas – pousse sa houle sur les champs.
Mon tee-shirt a basculé, mais je ne le remets pas en place. La caresse de l’air tiède éveille. Je me resserre dans ce frissonnement, qui progresse en colonne ascensionnelle le long de mon dos nu pour se concentrer vers la base de la nuque, jusqu’à n’être plus qu’un point d’une densité extraordinaire.
L’effleurement du vent sur la frontière de la peau, là où le toucher décolle, est une sensation d’une finesse absolue. J’ai fermé les yeux sur le souvenir du battement de tes cils dans mon cou, baiser papillon. Ephémère palpitation d’une réminiscence venue du plus profond de l’épaisseur qu’il y a entre le monde et nous. Il faut une altération inattendue, un grand silence en nous pour que nous puissions l’accueillir, la laisser résonner et se déployer ensuite beaucoup plus loin.
Le vent joue au potentiomètre, s’arrête. Réincorporation au corps du réel. Dans lequel je suis vivante, mais à nouveau inerte. Du moins plus animée par cette transfiguration que suscite en nous le monde sensible. Caresse de l’air, saisissement du froid, sublimation de la chaleur, le contact des éléments nous donne une matérialité différente. Ce qui nous touche nous transforme.
Un souffle, sur ma joue, cette fois chaste sensation. Une tension première s’est évaporée dans les limbes, mais ne creuse plus de déception. J’ai eu des relations sexuelles, quelques éclairs sensuels, mais je ne sais toujours pas ce que signifie faire l’amour. Il m’aura effleuré l’écorce.
Si la peau peut se transmuer en barrière et nous laisser au seuil des apparitions de l’Autre dans notre vie, elle contient en revanche une profondeur intrinsèque. Un souffle la touche, et c’est le surgissement d’un autre monde, une abduction dans une dimension qui va bien au-delà du réel et de ses fictions étriquées. La conscience de la sensation, c’est une métaphysique tactile tapie dans quelques centimètres carrés d’ectoderme.
Mais pour l’instant, le soleil se couche et l’atmosphère s’est brutalement rafraîchie. Je redescends en courant et riant de mon promontoire.
Je peux bien revenir à l’étale de ma peine : notre peau a une âme, et sa transcendance nous dilate, métamorphose la concussion d’une brise sur sa surface en course éperdue dans le vent, bras grands ouverts sur un désir infiniment plus grand que celui de la pulsion cannibale qui fait de nous les pantins de la Chair.
Sensible et émouvant comme souvent 😉 Profitons du jour !
Merci Estherluette.
Floriane
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Merci de tes mots Floriane, accueillons le week-end qui vient, oui 🙂
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Je peux bien revenir à l’étale de ma peine…superbe conclusion qui dit tout en si peu de mots
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Merci, Annick.
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Un jour de plus à batifoler joyeusement dans le champ sémantique d’Esther, y opérer longuement la dissection sensorielle des nano particules de plaisirs à l’ancre de ses pores. Aucuns doutes nous sommes bien vingt-mille lieues sous la surface de son ovni de journal !
Au passage rafler les « concussion », « ectoderme », « abduction » – hier encore inconnus – et les emporter comme des petits trésors de précision nous donnant l’heure exacte.
Respect et admiration 🙂
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Merci Didascalie de cet écho, dont j’entends qu’il accuse bonne et fine réception (comme toujours ^^) de mes élucubrations d’Alien-née ; et me plonge aussi dans une forme de perplexité, tant j’ai souvent le sentiment de ne délivrer ici que des impressions somme toute communes à tous. Un ovni sans doute, oui… si vous le qualifiez de précis , j’espère que mon vocabulaire ne rajoute pas une couche inutile d’opacité à la lecture ?
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Au contraire il me pousse à les découvrir ! J’aime !!!
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Ouf 🙂
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A mon tour de le dire : comme je t’entends ! « Il faut une altération inattendue, un grand silence en nous pour que nous puissions l’accueillir », oui, et peut-être aussi une disposition naturelle, une inclination, une présence au monde animale un peu moins rabotée ? « La conscience de la sensation, c’est une métaphysique tactile » : comme tu le dis bien. Et tu le soulignes dans le texte, la sensation elle-même est une porte, qui pour moi ne mène pas vers une idée ou une pensée (une élaboration de l’intellect), mais vers une (re)connaissance. Merci pour ce très beau texte.
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Tu l’as lu et compris, ce texte dialogue avec les tiens (et tu sais combien je t’entends moi aussi !), qui me questionnent et me font réfléchir à ce que tu dis de ta/notre présence au monde. De ta foi aussi, qu’en tant qu’athée je ne partage pas, mais dont j’entends et reconnais certaines transcendances. Ce que tu (re)connais, je le (re)connais aussi, sans donner à cet amour sans doute le même nom que celui que tu lui attribue, mais cela importe-t-il tant au fond ? J’aime l’idée que mes certitudes vacillent au contact des tiennes 🙂
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😊
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« la pulsion cannibale qui fait de nous les pantins de la Chair ».
Pauvres de nous !
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Peut-être est ce une vue qui m’est particulière et sombre, Aldor … mais je n’ai pas de contre exemple suffisamment parlant pour penser que le désir ne comporte pas un enjeu de pouvoir, de « dévoration ». Que ce pouvoir s’exerce à l’égard de l’autre ou que nous en soyions nous-mêmes la proie. Le désir gouverne, et qui est réellement capable de se défaire de son emprise ? Je ne sais toujours pas…
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Et, Aldor, en réfléchissant , cette idée d’une force qui fait de nous des pantins n’est peut-être pas si éloignée de ce que tu en disais dans ton texte de jeudi « Réduire les hommes à l’état de choses » ? 😀 Nos réflexions se croisent, souvent ^^
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Je suis bien d’accord, Esther… Je m’intégrais bien dans le « nous » et de la conscience de cela venait aussi ma tristesse…
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Et tes reflexions renvoient aussi à celles de Katia – que j’ai parfois l’impression de mieux comprendre à t’écouter.
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Oh 🙂
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« Ce qui nous touche nous transforme ». Si vrai.
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Tu le savais déjà 🙂
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