Dessiccation de l’été, rentrée pulvérulente. Dans la maison déclarée zone grise, je tente de chasser la poussière comme la question contre laquelle je bute.
Frrrt, frrrt. Psschh, pssch, pssch, munie d’un balai, je m’obstine. Combat de Sisyphe, mais la répétition du geste vaut pour ses vertus sédatives. Les jours se succèdent, et l’irritation étrange que leur écoulement me procure ne me laisse aucun répit.
Pourtant, communications extérieures réduites à leur strict minimum, en quarantaine dans l’alchimie d’une hypersensibilité et d’une conscience exacerbée dont j’ai renoncé à croire qu’elles pouvaient avoir un sens pour quiconque, je devrais être calme : je suis enfin sortie de l’idée que quelqu’un ou quelque chose puisse arriver.
Frrrt, fin. Soudain éclat miroir d’un sol sans altération. Une tension retombe, puis revient aussitôt. Nettoyer ne suffit pas. Avec l’âge, Eros en fuite, je pensais que se tairait l’utopie du corps. Mais l’intranquillité subsiste et me signifie clairement mon erreur. Je suis encore loin d’être débarrassée de l’énergie effusive qui, lorsque j’étais enfant, faisait dire à mes frères estomaqués de mes débordements hors normes : « Esther, tu n’es pas finie ! ».
Volt(e)-face ! Tant qu’elle n’atteint pas son terme, la vie nous impose une dépense d’énergie à laquelle nous ne pouvons échapper, maintient un inachèvement qui s’avère paradoxalement être le plus fiable des moteurs. La pluie fine et sèche du temps peut bien s’effriter au-dessus de nos têtes et nous rappeler l’inéluctable à travers l’éternel retour de la poussière sur terre, il nous reste l’énergie du dés-espoir. Si proche de la lucidité des enfants qui, sans rien ignorer des noirceurs de la désagrégation, envoient voler d’un coup de pied les feuilles mortes en tas à l’automne pour le simple plaisir de les voir retomber en virevoltant. Puis recommencent, sans jamais se lasser, dans un mouvement dont je comprends soudain en abandonnant mon balai qu’il tire son inépuisable énergie du fait d’être libéré de l’intention.
Affranchis de tous les désirs, ambitions, projets, conceptions, perceptions… qui déterminent et ce faisant obscurcissent l’ordinaire de nos vies adultes, les enfants nous montrent combien leur liberté permet de s’enfoncer dans l’inconnu d’un avenir qui échappe quoiqu’il en soit à tout ce que nous pourrons jamais en imaginer. Sans peur, pleins de la gaieté inaliénable consistant à soulever un nuage de particules légères pour le plaisir, puis de s’en dire les uns aux autres en riant :
« Vous avez vu toute la poussière qu’on fait ? «
Comme elle vient
Mes cheveux noir ébène sont devenus gris,
Des rides profondes sillonnent mon visage,
Sur mon apparence le temps fait des ravages,
Mais qu’en est-il pour ce qui est de mon esprit ?
J’ai le sentiment de ne rien avoir appris
Concernant ce que veut dire se comporter en sage.
La raison m’a été promise à sept ans d’âge,
C’est peut-être à ce moment-là qu’elle a péri.
C’était bon de jouer à longueur de journée,
Puis de s’abandonner dans les bras de Morphée
Sans avoir le moindre souci du lendemain.
Que revienne l’ère bénie de mon enfance,
Indéfectible était alors mon espérance,
Qu’à nouveau je prenne la vie comme elle vient.
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Merci de ton beau poème Vincent 🙂 Pas de nostalgie de l’enfance en ce qui me concerne, mais -toujours ^^ – la tentative de maintenir son esprit.
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Ce que tu décris très joliment et justement de ce qu’est l’esprit d’enfance dans le dernier paragraphe de ton texte raisonne avec ce que je cherche quand je me place devant mon ordinateur pour écrire, quand je taquine la rime, je le fais pour m’amuser.
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Oui, et j’en souris avec toi ! En ce qui concerne ce texte, ma réflexion emprunte plutôt au « Gai Savoir » de Nietzsche… sans le mépris que ce dernier y affiche et auquel je ne souscrirai jamais 🙂
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merci 🙂
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J’adore et vous ajoutez de bien belles touches au passage à mon article sur nettoyer !
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Mais oui, je viens de le relire et je souris de cette conversation à distance. Autrui, notre réalité augmentée 🙂
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Chère Esther, quel texte comme toujours, tu es mûre pour l’enfance ;o)
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Je finirai comme j’ai commencé, chauve et sans dents 🙂
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Lucidité ou sagesse de l’enfance, libération de l’intention ou joie d’exister !
A la lecture de ton texte, me vient en écho celui d’Henri Gougaud (les 7 plumes de l’aigle) :
« – Vis dans ton corps, Luis, dans l’amitié, dans la constante sensation de ton corps. Ton corps ne pense pas, il n’imagine pas, il ne suppose rien. Il fait, à chaque instant, seconde après seconde, ce qu’il doit, rien de plus. A l’instant où tu te sens vivant, le Vivant est là, avec toi, ton Etre est là, car lui ne connaît que le présent perpétuel. Il ignore tout du passé, du futur, il ne peut pas t’y poursuivre, quand tu t’y perds. Il est là, il t’attend dans ton corps présent, prêt à t’inonder de toutes les bontés désirables.
Le présent, Luis !
Tous les mystères, toutes les richesses, toutes les réponses du monde sont dans ce mot. »
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Magnifique. Merci de cette découverte d’un auteur que je ne connais pas, mais dont les mots ciblent le cœur de ce que j’essayais de faire passer dans ce billet. Pas mieux 🙂
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J’ai vu le verbe et la poussière, j’en ai aimé le nuage contextuel, la force poétique, l’élégance de la phrase.
De la bien belle poussière, merci pour ce précieux partage
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Merci à vous de vos mots, qui éclairent mon début de semaine 🙂
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